5

 

  Pitt passe les deux jours suivants dans un hélicoptère de location à explorer la montagne de long en large. A deux reprises, le pilote et lui repèrent des sites d’accidents, mais pour apprendre qu’ils sont connus depuis longtemps. Après plusieurs heures de vol  – les fesses engourdies et le corps fatigué par les vibrations du moteur, les secousses des poches d’air et des rafales de côté  –, Pitt est vraiment soulagé lorsque le chalet de Loren apparaît et que le pilote pose son hélico dans la prairie la plus proche.

  Les patins s’enfoncent dans l’herbe grasse, les pales cessent de battre et le moteur s’arrête. Pitt détache sa ceinture, ouvre la porte et descend de la cabine pour s’étirer voluptueusement.

— Demain, à la même heure, monsieur Pitt ?

  Le pilote a l’accent de l’Oklahoma et les cheveux en brosse.

— Oui, accepte Dirk. Nous irons vers le sud et nous fouillerons le bas de la vallée.

— Vous avez l’intention d’explorer les pentes boisées ?

— Si un appareil s’était écrasé en terrain découvert il y a une trentaine d’années, on l’aurait retrouvé depuis longtemps.

— On ne sait jamais. Je me rappelle un jet d’entraînement de l’Armée de l’air qui s’était vomi sur la montagne dans les San Juan. Le choc a provoqué une avalanche qui a enseveli les débris de l’appareil. Les victimes sont toujours sous les rochers.

— Je veux croire que c’est une hypothèse peu probable, dit Pitt d’un ton las.

— Si vous voulez mon avis, monsieur, c’est la seule chose possible, dit le pilote en se pinçant le nez pour souffler et dégager ses tympans. Un petit appareil léger peut tomber dans les arbres et y rester caché pour l’éternité, mais pas un transport à quatre moteurs. Pas question que les pins et les trembles puissent cacher une épave de cette taille-là. Et même si c’était le cas, un chasseur serait tombé dessus depuis longtemps.

— Je suis disposé à examiner toutes les théories qui se présentent, dit Pitt.

  Du coin de l’œil, il aperçoit Loren qui sort de la cabane et s’approche en galopant à travers la prairie. Il claque la porte, et d’un signe congédie le pilote sans se retourner lorsque le moteur se remet en marche. L’appareil s’élève en bourdonnant au-dessus des arbres.

  Loren bondit dans ses bras, essoufflée par sa course dans l’air raréfié. Dans son pantalon blanc et son pull rouge à col roulé, elle est frémissante et pleine d’ardeur. Son visage finement ciselé brille dans les rayons du soleil de la fin d’après-midi : la lumière rasante enlumine sa peau d’une couche d’or. Dirk passe sa langue entre ses lèvres : il interroge deux yeux violets qui l’interrogent aussi. Pitt s’amuse toujours en voyant que Loren garde les yeux grands ouverts lorsqu’on l’embrasse ou qu’elle fait l’amour : elle ne veut rien manquer, prétend-elle.

  Finalement, elle le repousse pour reprendre son souffle, et fronce le nez.

— Ouf ! Que tu sens mauvais !

— J’en suis navré, mais la transpiration de toute une journée dans la bulle de plastique d’un hélicoptère ne vaut certes pas le n° 5 de Chanel.

— Ne t’excuse pas. Il y a dans cette odeur de mâle quelque chose qui excite les femmes. Mais il faut dire que le parfum d’huile et d’essence n’arrange rien.

— Alors je ne vais pas attendre que le chef de stick crie « Go » pour me jeter sous la douche.

— Plus tard, dit Loren en regardant sa montre. Si nous faisons vite, tu pourras peut-être le joindre encore.

— Joindre qui ?

— Harvey Dolan. Il a appelé.

— Comment ça ? Tu n’as pas le téléphone.

— Tout ce que je peux te dire c’est qu’un garde-forestier est venu pour dire que tu devais appeler Dolan à son bureau et que c’était important.

— Où trouver un téléphone ?

— Où donc, sinon chez Raferty ?

  Lee est à la ville, mais Maxine est trop heureuse de prêter son téléphone. Elle fait asseoir Pitt devant un antique bureau à cylindre et lui tend l’appareil. L’opérateur est diligent et en moins de dix secondes, Dolan est au bout du fil.

— Vous avez un certain culot de m’appeler en P.C.V, grogne-t-il.

— Le gouvernement peut payer, répond Pitt. Comment avez-vous pu me retrouver ?

— Sur la fréquence civile de la radio de ma voiture. J’ai envoyé un signal par le satellite de communication à la station des gardes-forestiers de la Forêt nationale de White River pour leur demander de vous transmettre le message.

— Qu’avez-vous découvert ?

— De bonnes nouvelles et d’autres, moins bonnes.

— Passez-les-moi dans l’ordre.

— La bonne nouvelle, c’est que Boeing s’est manifesté. Le train d’atterrissage faisait partie de l’équipement d’origine de la cellule numéro 75 403. La nouvelle moins bonne, c’est que cet appareil-là a été livré à l’Armée.

— Alors, c’est l’Armée de l’air qui l’a reçu.

— On le dirait. En tout cas, le National Transportation Safety Board n’a aucune trace de la disparition d’un stratocruiser de ligne commerciale. Je crains fort que ce soit là tout ce que je puisse faire. Si vous tenez à poursuivre votre enquête à titre privé, il faut vous adresser vous-même aux militaires. Leur service de sécurité aérienne échappe à notre juridiction.

— C’est ce que je vais faire, répond Pitt. Ne serait-ce que pour me délivrer des fantasmes que je peux avoir au sujet d’avions fantômes.

— Je m’y attendais un peu, fait Dolan. Aussi ai-je pris la liberté d’envoyer une demande  – à votre nom, bien entendu  – à l’inspecteur général de la Sécurité de la base aérienne de Norton, au sujet de la situation actuelle du Boeing 75 403. Un certain colonel Abe Steiger vous contactera dès qu’il aura trouvé quelque chose.

— Quelle est la fonction de ce Steiger ?

— Il est mon homologue sur le plan militaire. C’est lui qui dirige les enquêtes sur les accidents de l’Armée de l’air pour toute la région de l’Ouest.

— Donc nous connaîtrons bientôt la solution de l’énigme ?

— C’est bien possible.

— Quel est votre avis, Dolan ? Votre sincère opinion ?

— Ma foi…, commence prudemment Dolan, je ne veux pas vous raconter d’histoires, Pitt. Personnellement, je crois que votre appareil disparu va se retrouver dans les livres d’un de ces commerçants spécialisés dans le rachat des surplus du gouvernement.

— Et moi qui vous prenais pour un ami !

— Vous voulez la vérité, je vous la donne.

— Sérieusement, Harvey, je vous suis infiniment reconnaissant de ce que vous avez fait. La prochaine fois que je viens à Denver, je vous offre à déjeuner.

— Je ne refuse jamais un déjeuner à l’œil.

— Parfait. C’est une affaire entendue.

— Avant que vous raccrochiez… (Dolan respire longuement) si mon hypothèse est la bonne et que la présence du train d’atterrissage dans le garage de Miss Smith n’ait rien d’extraordinaire, où cela vous mène-t-il ?

— Eh bien, j’ai l’impression que ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

  Dolan repose l’appareil et reste à le regarder. Un curieux frisson glisse le long de son épine dorsale et lui donne la chair de poule. Il ne sait pas pourquoi, mais la voix de Pitt avait un ton sinistre.

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